Dégradation des conditions de travail et santé mentale
- Bertille Ossey-Woisard
- il y a 12 heures
- 4 min de lecture
En cette période de vacances, j’ai décidé de faire un petit zoom sur les conditions de travail, car je suis effarée de voir à quel point les droits fondamentaux en entreprise de beaucoup de mes patients peuvent être piétinés SANS QU'ELLES OU ILS S'EN RENDENT COMPTE: congés payés non pris, explosion des horaires de travail, stress permanent, absence de pauses pour déjeuner, pas de déconnexion, temps de repos réduit entre deux jours travaillés (les 11 heures non respectées donc), heures supplémentaires travaillées non payées ou non récupérées, culpabilisation du management, harcèlement des supérieurs ou des collègues, solitude, surcharge de travail, pénibilité non prise en compte, travail le week-end systématique mais non pris en compte par les responsables et/ou les ressources humaines (pas de récupération et/ou non payé) … La liste est longue, ce n’est qu’un résumé.
Plusieurs chroniques très instructives ont été publiées le 24 mai dans Le Monde sur la santé mentale en entreprise, car les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années, avec comme corolaire un impact direct sur la santé mentale des salariés, mais aussi des managers.
« Accroissement des exigences productives, organisation du travail en flux tendu, augmentation des cadences, densification et complexification : les ingrédients du « travail pressé » fabriquent le sentiment, largement partagé, d’être « débordé », « épuisé », « sous l’eau ». Ce travail en apnée use à la fois les corps et la psyché », écrit le psychologue Dominique Lhuilier dans sa puissante chronique « Une omerta pèse sur les troubles psychiques au travail » , que je relis souvent, tellement elle me semble juste.
« S’ajoute une double précarisation de l’emploi (développement des contrats à durée déterminée, travail intérimaire, flexibilité externe, temps partiels contraints, chômage) et du travail (exigence de mobilité, d’adaptabilité, de polyvalence) qui fragilise les fonctions, les métiers et les environnements de travail. D’où la multiplication des ruptures et transitions dans les trajectoires professionnelles. Ce précariat subi, puissant vecteur d’insécurité, a des répercussions sur tous les aspects de la vie. Reste la peur de perdre la capacité à tenir sa place dans le monde avec les autres », poursuit-il
« Ces transformations fragilisent les ressources collectives qui permettent de soutenir les épreuves du travail : transmission des règles de métier, entraide, régulation collective de la charge de travail, réciprocité dans les échanges au sein des équipes, travail de réorganisation des tâches…, ce qui tend à isoler chacun, contraint de puiser dans ses ressources propres. Au travail, comme dans la vie, on ne tient pas debout sans les autres ».
« Aujourd’hui, la prévalence de l’épuisement professionnel – ou burn-out, pathologie de surcharge, mais aussi de la solitude – est alarmante »
Les chercheuse et chercheur en gestion des ressources humaines Ludivine Adla et Ange Abalé, dans leur chronique intitulée « Santé mentale : Les manageurs préfèrent se murer dans le silence pour éviter de paraître incompétent en dévoilant leurs failles », mettent le focus sur les particularités de la souffrance au travail des responsables.
« Ils masquent l’érosion progressive de leur équilibre psychique et, lorsqu’ils craquent, c’est à huis clos ».
« Les manageurs étaient les « premiers de cordée », mais ils représentent désormais la corde qui lâche… Ils paient le prix fort d’un système défaillant qui les a oubliés. Si on les croyait solides, on les découvre vulnérables en raison de leur surexposition. Leur santé mentale fragilisée est le résultat d’un modèle à bout de souffle et non d’une faiblesse individuelle. Si, pour poursuivre leur ascension, les entreprises veulent des salariés motivés, elles doivent avant tout protéger ceux qui les mènent ».
Enfin dans sa chronique sur la réforme des retraites de 2023, faisant passer l’âge de départ à 64 ans contre 62 initialement, ( « Santé mentale : le vrai problème n’est pas de travailler plus longtemps mais plus longtemps dans de mauvaises conditions », l’économiste Alexandra Lugova écrit : « Si vous passez vos journées dans un environnement de travail toxique, sans soutien, sous pression constante, avec peu d’autonomie et sans perspectives… alors oui, chaque année de plus, avant la retraite, est une charge supplémentaire, un poids mental qui s’alourdit. Nos données montrent une augmentation mesurable des symptômes dépressifs dans ces situations ».
Et pour finir sur une note positive, gardons en tête cette analyse d'Alexandra Lugova:
« Inversement, si vous évoluez dans un cadre de travail respectueux, stimulant, avec de la reconnaissance, de la coopération, des marges de manœuvre… alors rester actif peut être bénéfique. Certaines personnes en bonne santé, bien entourées, trouvent du sens à continuer. Leur santé mentale ne se dégrade pas – elle peut même s’améliorer ! Ce n’est donc pas travailler plus longtemps qui est le vrai problème. C’est travailler plus longtemps dans de mauvaises conditions ».
Prévenir, c’est déjà prendre conscience des dysfonctionnements, ce qui représente déjà un grand pas !
C’est la période des vacances et peut-être l’occasion de s’autoriser à souffler, à prendre le temps de se reposer.
Et garder en tête qu’en France, le Code du travail est riche d’articles de protection des salariés.
Car oui, le travail est encadré en France, notamment grâce au Code du travail, qui « vise à garantir aux salariés leurs droits et libertés fondamentaux ainsi qu’une qualité de vie au travail, en encadrant le temps de travail, la durée maximale du travail, les heures supplémentaires, les congés payés ou de salaire
Prenez soin de vous!

Commentaires